Notre domaine de spécialité démontre que la nature est un terrain où vivent toutes sortes de plantes et d’animaux. Un terrain basé sur des circonstances qui offrent des opportunités à chaque être vivant en exploitant sa volonté innée de (sur)vivre.
Le principe essentiel qui sous-tend mon approche philosophique de la nature est que celle-ci est indifférente à l’égard de l’homme. L’homme en soi n’est qu’un élément de la taille d’une tête d’épingle dans l’univers. Mais l’homme a intérêt à se montrer bienveillant envers la nature s’il aspire à une (sur)vie de qualité ici-bas.
L’idée que l’homme « domine » la nature ou la transforme en tableau au moyen d’une composition audacieuse comme dans les jardins baroques ou de la Renaissance, est bien évidemment totalement illusoire. L’homme peut faire semblant de croire qu’il a la nature sous sa coupe dans une mise en scène théâtrale rassurante, mais le rapport de force entre la nature et lui semble être du même ordre que celui entre Don Quichotte et les moulins.
Quant à moi, je dirais que j’adopte une sorte d’attitude de « négociation » avec la nature. Il faut la traiter avec des égards, car comme je viens de le souligner, la nature ne se soucie pas de l’homme.
Des conditions sèches d’un côté, de l’humidité de l’autre
En tant qu’architecte paysagiste, j’ai consacré la dernière décennie à me spécialiser dans deux domaines : les toitures vertes, d’une part, et les noues plantées, d’autre part.
En théorie, les conditions pour aménager ces deux types de jardin sont diamétralement opposées. Dans une toiture verte, les plantes doivent survivre dans des conditions très sèches. Dans une noue plantée, par contre, l’objectif est d’avoir de l’eau en sous-sol et d’ainsi contribuer à une grande biodiversité. Car tout qui s’y connaît en biologie sait que la présence d’eau dans le paysage est source de biotopes intéressants.
Ce qui me fascine, c’est le côté « processus » de la dynamique de la nature. Tout bouge, et les toitures vertes et les noues plantées en constituent de parfaites illustrations. C’est ce que les Grecs appelaient Panta Rhei. Dans les jardins de toiture comme dans les jardins de pluie, nous travaillons ainsi avec des mélanges de différentes espèces végétales, que nous estimons capables, en théorie, de s’adapter à la situation qu’elles rencontreront. Nous n’imposons donc pas notre volonté à la nature, mais laissons se dérouler le « processus » de l’espèce végétale la mieux adaptée.
Nous appliquons cette méthodologie aussi bien aux xérophytes (les plantes qui vivent dans les milieux secs) qu’aux hélophytes (celles qui sont capables de survivre dans l’eau). Ce que l’on constate, alors, c’est que ce sont les végétaux qui s’adaptent le mieux aux conditions qui s’imposent. Quant à savoir ce que cela donnera sur le plan visuel, on ne peut jamais le prédire. Nous tolérons certaines plantes sauvages dans ce mélange si elles peuvent apporter une plus-value à la physionomie du jardin ou attirer des oiseaux, des abeilles ou d’autres insectes. Soit dit en passant, je constate que ce n’est pas parce qu’une toiture verte ou une noue plantée a bel aspect qu’elle héberge une grande biodiversité. On touche ici à un point essentiel, mais les autorités ont souvent tendance à associer les deux dans leurs décisions ou leur communication.
Ce que je constate également, c’est qu’il existe des espèces végétales dominantes qui éliminent la diversité ! Prenons l’exemple des érables, qui, à terme, peuvent occuper tout un champ. Ou celui des saules, que l’on rencontre beaucoup chez nous et qui vont très rapidement coloniser votre noue plantée.
Les jardiniers indispensables
Heureusement, il y a les jardiniers pour veiller à ce qu’une ou plusieurs espèces végétales ne perturbent pas l’équilibre dynamique ou la physionomie souhaitée. Avec leurs connaissances, ils peuvent intervenir afin de réorganiser ce « théâtre » qu’est chaque jardin !
Denis Dujardin
Landscape-Urbanism-Scenography